Business éolien : Crêt-Meuron tombe en mains coréennes

L’information est passée inaperçue dans les médias neuchâtelois : c’est désormais le géant sud-coréen Hanwha qui contrôle le projet de parc éolien de Crêt-Meuron. Le conglomérat asiatique vient d’acquérir les activités de RES en France, dont le portefeuille comprend le projet éolien neuchâtelois. Par cette acquisition, Hanwha dit vouloir continuer à accélérer son expansion dans le secteur européen des énergies renouvelables. À l’échelle neuchâteloise, ce business ne manque pas de susciter quelques interrogations.

On se souvient des slogans des différentes votations par lesquelles les éoliennes sont arrivées : « Notre vent, notre énergie », scandaient les partisans de l’éolien lors de la votation neuchâteloise de 2014 sur la planification éolienne. Les adeptes de la loi fédérale sur l’énergie votée en 2017 prétendaient, quant à eux, qu’avec la transition énergétique, « l’argent reste ici ». Voilà pour les belles paroles. La réalité du business des nouvelles énergies renouvelables est généralement bien différente. Dans le cas de Crêt-Meuron, c’est de l’autre côté de la planète qu’ira l’argent.

Juridiquement, le projet éolien de Crêt-Meuron est entre les mains de la Sàrl Société de production d’énergie du Crêt-Meuron. Cette société paravent qui n’existe que sur le papier a son domicile auprès d’une fiduciaire de Cernier. Son propriétaire est RES France, qui détient la totalité du minuscule capital-actions de CHF 20’000.- Le président de la Sàrl du Crêt-Meuron est Jean-François Petit (Président de RES France), appuyé par Martin Kernen, directeur chez Planair, où siège le bureau romand de Suisse Eole, le lobby éolien suisse.

Avec un capital-action de CHF 20’000.-, la Sàrl du Crêt-Meuron ne peut évidemment pas porter un projet éolien de plusieurs dizaines de millions de francs. C’est la société RES France, qui a son siège à Avignon, qui est le propriétaire effectif du projet de Crêt-Meuron et qui tire les ficelles.

Avec le rachat de RES France par Hanwha, c’est désormais un conglomérat sud-coréen qui contrôle le projet éolien de Crêt-Meuron. Présent dans la finance, la chimie, le bâtiment, l’énergie et l’armement, Hanwha encaissera les bénéfices issus des subventions payées par la Suisse. C’est aussi elle qui décidera de la politique d’exploitation et qui sera – si elle ne fait pas faillite et si le parc ne change pas de mains d’ici là – responsable du démantèlement du parc éolien dans 20 ans.

L’opération, qui sera bouclée en octobre, montre à quel point le subventionnement massif des énergies renouvelables par les Etats européens attire des investisseurs asiatiques, détenteurs de liquidités abondantes. Hee Cheul Kim, s’exprimant au nom de Hanwha Solutions Corporation, résume bien la situation : « des actions déterminantes peuvent rendre une entreprise beaucoup plus durable et rentable ». On le croit sur parole.

Pour Neuchâtel en revanche, l’opération est loin d’être durable et rentable. Outre le fait que les subventions payées par les consommateurs suisses finissent désormais dans les caisses d’actionnaires coréens, de gros points d’interrogation planent sur le projet si le parc devait être construit un jour : les propriétaires coréens appliqueront-ils les mesures environnementales coûteuses qu’impose le permis de construire ? Que se passera-t-il s’ils ne le font pas ? Que pourra exiger le Canton en cas de non-respect des mesures environnementales et surtout, comment ? Quelle sera l’attitude des propriétaires coréens en phase d’exploitation face à la problématique du tourisme régional (ski de fond) : arrêteront-ils les turbines en hiver comme le demanderait le permis de construire ? On est en droit de douter que les actionnaires coréens de Hanwha soient sensibles à la pratique des sports d’hiver à Crêt-Meuron, qu’ils n’arriveront pas même à situer sur une carte. Et surtout, après 20 ans, au terme de l’exploitation du parc, les propriétaires coréens remettront-ils le site en état, ou laisseront-ils aux collectivités publiques neuchâteloises le soin de remettre le site dans son état naturel, aux frais de la commune de Val-de-Ruz et du canton ? Les réserves légales constituées en cours d’exploitation pour le démantèlement des éoliennes après 20 ans sont en effet clairement insuffisantes pour couvrir tous les frais.

Le rachat de RES France par un conglomérat coréen résume à lui seul l’énorme business qui s’est mis en place autour du subventionnement massif du secteur de l’énergie. Neuchâtel gagnerait à ouvrir les yeux sur les mécanismes de contrôle des projets éoliens, faute de quoi le slogan « notre vent, notre énergie » pourrait bien avoir un goût amer.

Contexte :

Pétition Non à la disparition du Centre nordique et touristique de La Vue-des-Alpes – Crêt-Meuron – Tête-de-Ran : http://www.cretmeuron.ch/

La pétition demande entre autres aux autorités cantonales de prier le promoteur éolien RES de renoncer à son projet qui est contraire aux intérêts de la population du canton de Neuchâtel et de tout l’Arc jurassien. Le traitement de la pétition est actuellement pendant au Grand Conseil.

Voir aussi les communiqués de presse de Neuchâtel ski de fond et al. du 18.08.2020 et du 22.06.2021 relatifs à la pétition.